Matières à réflexions

Que serait le contenu sans le contenant ? L’architecture n’est pas qu’un élément de décor : elle donne à réfléchir. Et souvent, visiter l’extérieur d’un site pousse à y entrer. Comme un joli emballage donne envie d’ouvrir un cadeau.

Du verre sur le carreau

Pour Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa faire disparaître l’œuvre dans le décor n’a rien d’un hara-kiri. Ici la démarche est une sincère révérence à l’histoire humaine que représente l’ancien carreau des puits 9 et 9 bis des mines de Lens. En faisant tout pour « qu’on ne sache pas où le paysage s’arrête et où commence le bâtiment », le duo d’architectes nippon a conçu une structure immensément sobre. Malgré ses 360 mètres de long, le musée du Louvre-Lens donne en effet l’impression de flotter. Recouvertes à l’extérieur de plaques d’aluminium sans joints apparents, la Galerie du temps et la Galerie des expositions temporaires se confondent avec le gris du ciel. Quant aux grandes baies vitrées du Hall d’accueil et du Pavillon de verre, elles font littéralement entrer la nature dans le musée. Et inversement. La visite du Louvre-Lens commence dehors. Précisément en empruntant les trois axes principaux qui reprennent les lignes des anciens cavaliers, ces voies ferrées qui servaient à transporter le charbon vers la gare. A pied, on y croise des essences évocatrices comme le pin (bois de soutènement dans la mine), le bouleau (premier bois à s’être réimplanté naturellement aux abords des sites d’extraction) mais aussi quelques arbres fruitiers. On dit qu’ils seraient la conséquence de noyaux jetés par les mineurs eux-mêmes.

Vue du Musée du Louvre-Lens. Crédit = Jean-Michel André

Un paquebot en béton

Avant de se lancer dans un projet, Jean Nouvel s’imprègne du site comme un comédien entre en communion avec son rôle. Ce fut le cas pour Cité Nature à Arras. L’architecte ne le sait que trop : l’ancienne lampisterie, ce « monolithe de béton » comme il le dit lui-même, est un bâtiment qui a marqué l’histoire de la ville à jamais. Et puis, on ne coule pas un paquebot de 160 x 24 mètres amarré aux bords de la Scarpe depuis 1922 ! Au contraire, on le valorise. On bichonne ses hublots – en l’occurrence d’immenses fenêtres, on couvre les sheds d’un poly-carbonate alvéolé et non pas d’une verrière, on refait les châssis à l’identique, on restaure sa coque de béton par sablage. Et on a une pensée pour François-Benjamin Hennebique, l’inventeur du béton armé né à Neuville-Saint-Vaast, soit à deux pas.

La « fibre » émotionnelle d’un anneau 

J’ai compris que la bataille de l’Artois n’aurait jamais eu lieu sans celle du charbon, le pétrole de l’époque. J’ai donc tenu à ce que l’une des deux fenêtres s’ouvre sur les terrils jumeaux de Loos-en-Gohelle.

Les ruines de l’église d’Ablain-Saint-Nazaire, symbole des horreurs de la guerre, étant dans la mire de la seconde. Philippe Prost est sensible à ce qui l’entoure. Quand lui est confiée la réalisation de l’Anneau de la Mémoire, ce féru d’architecture de guerre et non pas militaire (la notion d’urgence et de spontanéité échappant à cette dernière) apprend que son grand-père a été blessé à Notre-Dame-de-Lorette. L’œuvre qu’il a conçue est avant tout émotionnelle. Inauguré à l’automne 2017, l’Anneau de la Mémoire est une auréole délicatement posée sur le « plateau sanglant. » Une ellipse de 345 mètres de périmètre en béton fibré à ultra-haute performance constituée d’une succession de voussoirs capables de résister à de puissants efforts de torsion. Notamment au niveau du porte-à-faux de 60 mètres. Vue du ciel, cette alliance couleur ébène tranche avec le cimetière militaire attenant tout en rectitude blanche. Une beauté à faire chavirer. Ceci dit, la vraie extrasystole, on la ressent quand on entre à proprement parler dans l’anneau aux 580 000 noms de soldats  tombés au cours de la Première Guerre mondiale dans le Nord Pas-de-Calais gravés sur des panneaux en acier inoxydable. Définitivement immortels.

Ça casse vraiment des briques ! 

Un Centre d’interprétation de l’habitat et du paysage minier, des logements, des gîtes urbains, des bâtiments pour artistes en résidence, d’autres dédiés à des ateliers pédagogiques et, pour couronner le tout au sens propre comme au figuré, une multitude de jardins (potagers, pédagogiques, conservatoires). La Cité des Electriciens est un écosystème branché sur courant continu : la vie ne s’y arrête jamais. Aucun autre coron ne mérite plus que celui-ci d’être inscrit au titre de « Paysage évolutif culturel vivant » par l’Unesco. Quand au printemps 2019 la doyenne des cités minières du Pas-de-Calais exhibe son nouveau visage, le salut est unanime. Il faut dire que la réhabilitation de l’Agence d’architecture Philippe Prost associée à l’agence FORR pour le paysage est une révérence au passé. Tout a été soit conservé, soit repris à l’identique. Briques d’argile, tuiles, appentis, jusqu’aux trois teintes de vert (turquoise, wagon, bouteille) des portes et fenêtres.

Bienvenue dans le quartier !

Situées à cheval sur les communes de Douai et Waziers, les cités (jardin) de la Clochette et (pavillonnaire) Notre-Dame sont un des fleurons de l’architecture minière. En flânant dans le quartier de la Clochette, on découvre un habitat typique magnifiquement restauré : toitures à pans brisés, lucarnes, motifs de briques blanches sur fond de briques rouges, pignons, porches en demi-lune… Très vite, la balade prend une dimension sociétale. On découvre en effet un écosystème propre aux cités minières : le groupe scolaire commun aux deux cités, le centre social, QG des associations musicales et sportives de l’époque, l’église signée du célèbre architecte Marie-Louis Cordonnier (mélange de styles néo-roman et Art déco) et… deux presbytères. L’un accueillait un prêtre français, le second un aumônier polonais.

Informations pratiques

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